Il faut compenser l'absence par le souvenir. La mémoire est le miroir où nous regardons les absents. Joseph Joubert

jeudi 7 avril 2011

ROBERT-ESPAGNE (2)

… Il n’y a plus âme qui vive à Robert-Espagne. Les hommes épargnés ont gagné les bois ; les femmes, les enfants, les vieillards sont disséminés dans la campagne, beaucoup sur  le bord de la rivière qu’ils n’ont pu franchir. Ils ont fui les uns les mains vides, n’ayant pas songé à prendre le moindre objet tant leur affolement était grand, les autres qui avec une valise, qui avec une brouette chargée de choses hétéroclites. Ils ont tous entendu vers 15 heures le long crépitement des mitrailleuses sans se douter du terrible drame qui s’accomplissait là-haut. Une partie de l’horrible nouvelle ne commence à se répandre que tard dans la soirée et encore beaucoup ne la connaîtront que le lendemain ou le surlendemain. Toute ces malheureuses gens passent leur première nuit dehors, l’estomac vide grelottant de froid, dévorés d’inquiétude sur le sort des absents, suivant les progrès de l’incendie qui, inexorablement, se propage de maison en maison, anéantissant toutes les choses chères amassées depuis des générations. Des coups sourds retentissent souvent : ce sont, tout près, les grenades incendiaires jetées par les vandales et qui allument de nouveaux foyers d’incendie ; plus loin, les coups de quelque canon qui annoncent l’approche de la bataille finale et l’arrivée prochaine des libérateurs. Et le jour se lève qui ne calme pas l’incendie, car l’Allemand est de nouveau revenu pour achever son œuvre de destruction.Cependant quelques habitants, malgré la crainte d’un retour inopiné des assassins, se sont enhardis à venir jusque sur le lieu du massacre. Il est difficile de décrire le spectacle qu’alors ils découvrent : ces yeux grands ouverts où se lit la folle épouvante des derniers instants, ces cranes défoncés,ces poitrines béantes, tous ces bras levés à hauteur du visage qu’ils ont voulu vainement protéger, ces corps enlacés, père et fils, pour mourir ensemble, tout ce sang répandu, quelle horreur !!!
Ces terribles nouvelles parviennent peu à peu aux malheureux terrorisés : 30, 40, 50 hommes sont tués là haut !  L’on commence à citer quelques noms. Et il y a autant d’horreurs à Beurey, Couvonges, à Mognéville, paisibles villages voisins qui brûlent en même temps. Les mères de famille vivent dans des transes folles, angoissées sur le sort des absents craignant pour les enfants qui se serrent autour d’elles. La seconde nuit passe encore partiellement éclairée par le rougeoiement des incendies qui n’ont pas cessé, mais cependant décroissent. Beaucoup de ceux du dehors ont l’impression qu’il ne reste plus rien à Robert-Espagne. Les coups ont cessé dans le village, un silence de mort y règne. Alors, au point du troisième jour, quelques isolés d’abord, puis des groupes plus nombreux se rapprochent, s’enhardissent et pénètre au milieu des ruines fumantes pour mieux juger de l’étendue de la catastrophe. Que de larmes, que de sanglots, que de cris déchirants devant un tel malheur ! Telles femmes ont perdu en quelques instants leur époux et leur foyer telles autres leur époux, leur fils, ou leur gendre et leur demeure ; combien de veuves, de mères et d’orphelins éplorés ! Combien de famille sans logis, sans vêtement, sans rien !
Vers midi, une mauvaise nouvelle se répand encore : Firmin Beaudaux, brave père de famille qui avait pu se dissimuler dans les bois avec quelques camarades, vient d’être abattu par quelques traînards allemands qui l’on rencontré. C’est la cinquante et unième victime de la barbarie nazie ! … Enfin, au cours de l’après-midi du jeudi 31 août, l’arrivée imminente des Américains est signalée. Et peu après, une interminable colonne motorisée fait son entrée dans le village qu’elle traverse dans toute sa longueur au milieu des ruines fumantes, accueillie par la population effondrée mais courageuse. Beaucoup de libérateur ne peuvent retenir des larmes en contemplant une telle catastrophe, eux qui pourtant ont déjà rencontré bien des ruines et des misères sur le sol de France qu’ils délivrent jour après jour. 
Les corps - une plaque de zinc au poignet droit - furent inhumés dans des draps sans cercueil, le vendredi, au dessus du talus. Ils furent placés côte à côte et les petites croix qui dominaient les tertres se touchaient. Sur la demande des familles, les corps furent exhumés entre le 17 et 18 octobre pour être placés dans des cercueils. Plusieurs dépouilles furent inhumées au cimetière ; d’autres furent reconduites aux lieux de leur naissance, mais trente corps qui évoqueront pour les générations futures le drame terrible du 29 août 1944, furent ré-inhumées sur le tertre. Le bilan de ces terrifiantes journées des 29 et 30 août 1944 à Robert-Espagne se résume ainsi : 51 innocents, sauvagement abattus, 200 maisons complètement incendiées sur 300, 184 foyers détruits sur 300. Sur les 215 enfants de moins de 14 ans que comptait Robert-Espagne, 120 ont été sinistrés, 36 ont eu leur père fusillé, 16 ont à la fois perdu leur père et leur foyer ; 75 seulement n’ont pas été directement atteints par sinistre.
Source brochure «Libération Sanglante de quatre village Meusien». En vente à la mairie de Robert-Espagne.










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