Il faut compenser l'absence par le souvenir. La mémoire est le miroir où nous regardons les absents. Joseph Joubert

jeudi 7 avril 2011

ROBERT-ESPAGNE (4)

                                        Jeudi 28 décembre 1944                                                        
Une grande place entoure l’église. La neige, silencieusement, va bientôt la couvrir : cet immuable phénomène au lieu de revêtir Noël de son charme traditionnel va cette année donner un linceul à nos ruines et réveiller notre douleur. Noël, la fête la plus parfaite de l’intimité familiale, ne manque pas de provoquer des larmes secrètes, des étreintes soudaines, des évocations poignantes.
Habitants des villages, restés debout et vivants, vous parlez de Noël en gémissant sur le temps présent. Chez nous, il reste des pierres empilées et des os. Il est tout naturel que nous soyons terriblement émus à la pensée des Noëls d’avant-guerre. Je vois le soir, dans nos familles, des jeunes gens tristes et des femmes qui parlent des hivers d’autrefois avec des soupirs interminables.
On revoit le passé comme une image d’autant plus nette qu’il n’en reste que des traces. On ne voit tout que par le néant. La grand’ rue illuminée, des épiceries achalandées de gibier, pâtisseries, vins et liqueurs, des vitrines étincelantes où s’attardent les gosses le soir après la classe.
On se retrouve ailleurs, on est à table, en famille, autour d’un festin. Le clocher veillait alors sur des foyers réjouis : la messe de minuit illustrait pour mon cerveau d’écolier de neuf ans les légendes seigneuriales du moyen Age ; « Les gosses » passaient leurs vacances sur des traîneaux, s’ébattaient dans la neige de la côte des Hattons jusqu'à celle de Beurey. Et les vacances glissaient plus vite que nous. Le jour de l’an réunissait les familles ; des groupes de trois ou quatre personnes emmitouflées, montaient, descendaient, s’arrêtaient dans cette même grand’ rue.
1940 : Le clocher domine encore un village résigné qui opprime son espérance et étouffe sa joie.
1941-1942 : Il est encore permis ce soir-là, de se réunir pour espérer. La fièvre monte, sans angoisse.
1943 : Des absents, des malades, des morts déjà. On devient froid comme l’hiver et on attend le printemps. On espère dans les maisons vides où stagnent les souvenirs. Les vivants parlent d’une voix cassée, étrange.
1944 : Les rayons de soleil font l’effet d’une piqûre de morphine.
Les petits enfants jouent dans les rues calmes ; L’été, le frisson, une attente brûlante, une trépidation des âmes, l’écoute des nouvelles jusqu’à minuit, le 27 août, Vitry-le-François, vallée de la Saulx, est-ce possible ? La libération pour demain ? Non !
Un cadavre de village. Et aujourd’hui, il reste un ossuaire d’hommes et de maisons, de foyers : tel est le «chez nous» de Noël 1944.
Nous n’avons plus que la grande maison pour espérer.
                                       Article écrit par Mr.Camille ADNOT -Ancien instituteur à Robert-Espagne











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